Note sur la conférence régionale de l’EPIC: transparence salariale dans la région Asie-Pacifique : politiques publiques et pratiques des entreprises

12 Jan 2023

À l’occasion de cette conférence régionale organisée par la Coalition internationale pour l’égalité salariale, le 26 octobre 2022, les gouvernements, les employeurs, les travailleurs et leurs organisations respectives dans la région Asie-Pacifique ont fait part de leurs expériences, politiques et pratiques visant à faire de l’égalité de rémunération entre les femmes et les hommes pour un travail de valeur égale une réalité, en s’attachant en priorité à la transparence salariale. L’ordre du jour de la conférence est disponible à la fin de la présente page.

Contexte : dans la région Asie Pacifique, les inégalités persistent entre les femmes et les hommes sur les marchés du travail.

Dans la région Asie-Pacifique, les inégalités entre les femmes et les hommes demeurent prononcées sur les marchés du travail. Chez les jeunes générations, l’écart entre les sexes relativement au niveau d’études s’est réduit et souvent s’est inversé, ce qui a contribué à atténuer les disparités en matière d’accès à l’emploi et de rémunération. Néanmoins, des différences substantielles subsistent entre les hommes et les femmes quant aux conditions d’emploi. Par exemple, dans les pays de l’OCDE dans cette région, les écarts de rémunération médiane entre hommes et femmes varient d’un peu moins de 6,7 % en Nouvelle-Zélande à 12,3 %, 22,1 % et 31,1 % en Australie, au Japon et en Corée respectivement. En comparaison, la moyenne dans les pays de l’OCDE est de 11,7 %.

Pour réduire les disparités salariales entre hommes et femmes et appeler l’attention sur les différences de rémunération systématiques dans les entreprises, des mesures de transparence salariale trouvent de plus en plus souvent leur place dans les ensembles de politiques depuis les dix dernières années. Ces mesures visent à inciter les employeurs à prévenir et combattre les disparités salariales, à mieux informer les travailleurs et leurs représentants concernant les moyens de lutte contre la discrimination salariale, et à aider les gouvernements à déterminer dans quelles conditions s’attaquer aux écarts de rémunération entre les sexes.

Message de bienvenue

Rakesh Patry, directeur général des Affaires internationales et intergouvernementales du travail, ministère de l’Emploi et du Développement social Canada, et président du comité de pilotage de l’EPIC, ouvre la conférence par quelques paroles de bienvenue. Il souligne que l’EPIC contribue à la lutte contre l’écart de rémunération entre les sexes, notamment en facilitant les échanges entre pays, par exemple sur les bonnes pratiques, et l’accès à des données valables.

À propos du Canada, il évoque la promulgation d’une loi proactive sur l’équité salariale et la mise en œuvre de mesures innovantes en matière de transparence salariale. Au Canada, en vertu de ces nouvelles mesures de transparence salariale, les employeurs du secteur privé sous réglementation fédérale comptant 100 salariés ou plus sont tenus de rendre compte au gouvernement de leurs données sur les écarts salariaux. Ces données sur les écarts salariaux seront publiées l’année suivante sur un site Web interactif. La communication d’informations est à prendre au sens large : le Canada sera le premier pays à rendre accessibles au public des données sur diverses inégalités en matière de salaire horaire, de primes et d’heures supplémentaires dont sont victimes les femmes, les peuples autochtones, les personnes handicapées et les membres des minorités visibles.

Transparence salariale : perspectives et politiques dans la région Asie-Pacifique

Katsumi Ishizu, directeur, Division de l’égalité des chances en matière d’emploi, Bureau de l’environnement de travail et de l’égalité en matière d’emploi, ministère de la Santé, du Travail et de la Protection sociale du Japon, évoque les politiques élaborées dans son pays en matière d’égalité des sexes. Malgré certaines améliorations, l’écart de rémunération entre les sexes demeure important au Japon. Des mesures législatives ont été adoptées récemment pour remédier à ces disparités, dont la loi de 2015 sur l’action positive sur le lieu de travail et la divulgation des écarts de rémunération aujourd’hui. À compter de juillet 2022, les entreprises du secteur privé comptant 300 salariés ou plus (soit environ 18 000 entreprises) sont tenues de divulguer, sur leur site Web et ailleurs, le montant de la rémunération des femmes en pourcentage de celle des hommes, en ventilant les chiffres en fonction du statut des employés (permanents ou non permanents). Toute disparité salariale entre les sexes devra être justifiée, parce qu’il est primordial de comprendre et de combattre les causes profondes de l’écart de rémunération entre les sexes. L’exposé de M. Ishizu est disponible ici [en anglais].

Mme Kellie Coombes, Secrétaire pour les femmes et administratrice en chef, Manatū Wāhine – ministère pour les Femmes, a parlé des politiques et des pratiques adoptés en Nouvelle-Zélande. Dans son pays, il n’y pas de politique en place concernant la communication publique de la rémunération dans le secteur privé. En revanche, des organismes du secteur public publient des information sur leurs écarts de rémunération, et la Commission de la fonction publique analyse les inégalités salariales entre les hommes et les femmes ou entre les groupes ethniques dans les organismes du secteur public. Le gouvernement met en œuvre un programme de travail visant à améliorer la transparence salariale. La Nouvelle-Zélande adopte une démarche innovante en vue de l’égalité de rémunération pour un travail de valeur égale. L’année 2022 a marqué le cinquantenaire de l’adoption de la loi sur l’équité salariale, qui interdit la discrimination en matière de rémunération fondée sur le sexe. En 2020, cette loi a été modifiée pour permettre aux employés et aux employeurs de résoudre à l’amiable des problèmes d’équité salariale. Une boîte à outils, « Te Orowaru », aide les parties en présence au long du processus d’évaluation et de règlement d’une réclamation pour disparité salariale. À ce jour, plus de100 000 salariés ont vu leur rémunération rectifiée à la suite d’une réclamation pour disparité salariale. Entre autres percées importantes, la Nouvelle-Zélande a lancé en juin 2022 son premier plan d’action pour l’emploi des femmes, dans le ici [en anglais].

Mme Shelby Schofield, économiste en chef, Bureau pour les femmes, ministère du Premier ministre et du Cabinet, Gouvernement de l’Australie, a souligné que le gouvernement australien est fermement décidé à mettre en œuvre un programme ambitieux en faveur de l’égalité de genre. Ce programme prévoit notamment : l’élaboration d’une stratégie nationale pour parvenir à l’égalité de genre; la création d’une équipe spéciale indépendante pour l’égalité économique des femmes, et l’adoption d’une budgétisation tenant compte des questions de genre. L’élimination de l’écart de rémunération entre les sexes est une priorité essentielle. Le gouvernement s’est engagé à renforcer les normes existantes en matière de présentation d’information, pour exiger des employeurs ayant 500 salariés ou plus de se fixer des cibles mesurables visant à améliorer l’égalité entre hommes et femmes sur leurs lieux de travail, et pour habiliter l’agence responsable de la promotion de l’égalité des sexes sur le lieu de travail à publier les écarts de rémunération entre les sexes constatées dans les entreprises de 100 salariés ou plus. Il pilotera également l’action nationale menée en vue d’éliminer les écarts de rémunération entre les sexes en faisant de l’équité salariale une composante de la loi de 2009 sur le travail équitable, en renforçant les capacités de la Commission de l’équité dans les pratiques de travail pour ce qui est d’ordonner des augmentations de salaire pour les travailleurs mal rémunérés employés dans les secteurs à prédominance féminine, et en interdisant les clauses de non-divulgation de la rémunération. L’exposé de Mme Schofield et disponible ici [en anglais].

Woojeong Kang, directeur adjoint, Division des politiques pour l’emploi des femmes, ministère coréen de l’Emploi et du Travail, a présenté les politiques et les pratiques adoptées en Corée, où l’écart de rémunération important qui existe entre les sexes est un problème de longue date. Depuis 2006, la Corée met en œuvre un programme d’action positive, en vertu duquel les entreprises où le taux d’emploi des femmes et la proportion de femmes à des postes de direction sont inférieurs à 70 % de la moyenne enregistrée dans le même secteur d’activité et dans les entreprises de même taille doivent soumettre un plan de mise en œuvre et rendre compte de leur performance. Après délibérations, le Comité d’experts publie chaque année depuis 2017 une liste des entreprises qui ont négligé de suivre le programme d’action positive. En 2019, les obligations en matière de communication des données ont été étendues aux administrations publiques locales et aux entreprises comptant au moins 300 salariés parmi celles visées par les obligations de divulgation. Depuis 2020, toutes les entreprises concernées par le programme d’action positive doivent soumettre des données ventilées par sexe sur les salaires, les années de service et la proportion correspondante à chaque fourchette salariale. Les entreprises sont également encouragées à fournir une analyse des facteurs responsables des écarts de rémunération constatés, fondée sur un examen volontaire de leurs données.

Mme Tomoko Hasegawa, directrice générale, Keidanren (Fédération des entreprises du Japon) a discuté des principales pratiques des entreprises japonaises. Dans son pays, les entreprises peuvent prendre diverses initiatives à l’appui de l’autonomisation des femmes, notamment : mobilisation de la direction (sous la forme de plans concrets pour un accroissement de la proportion de femmes occupant des postes de direction, par exemple); mesures prises pour créer un environnement de travail qui favorise l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée; extension des responsabilités et de la rotation d’emplois stratégique (par exemple, nomination de femmes à des postes traditionnellement réservés aux hommes); activités de formation (pour l’élimination des préjugés inconscients, par exemple); possibilités d’échange et de sensibilisation (comme des forums de discussion en ligne pour les employés confrontés à des problèmes communs). La « nouvelle stratégie de croissance » post-COVID-19 de Keidanren privilégiera la diversité des effectifs en fixant un objectif à atteindre : que 30 % des postes de direction soient occupés par des femmes d’ici 2030. Des exemples d’interventions en faveur de la présence des filles et des femmes dans les STIM ont également été mentionnés – telles que le « Rikochare d’été » (Défi en sciences et ingénierie). L’exposé de Mme Hasegawa est disponible ici [en anglais].

Lors de la séance de questions-réponses, les intervenants ont pointé du doigt les facteurs favorisant la transparence salariale, notamment : une mobilisation véritable pour l’égalité de genre et une culture d’apprentissage sur ce qui fonctionne et sur ce qui ne fonctionne pas; des mesures incitatives suffisantes qui encouragent les entreprises à adopter des pratiques garantissant l’égalité de rémunération et la transparence salariale; le recensement des obstacles à l’égalité de rémunération, comme la ségrégation horizontale et des normes sociales rigides relatives au genre.

Pratiques des entreprises à l’appui d’une rémunération égale pour un travail de valeur égale : expériences en milieu de travail dans la région Asie-Pacifique

Mme Joni Simpson, spécialiste principale pour le genre, Bureau régional de l’OIT pour l’Asie et le Pacifique, a évoqué les pratiques des entreprises asiatiques en matière d’égalité de genre. Se référant à une récente publication de l’OIT, elle a souligné que les mesures de transparence salariale jouent un rôle important parmi toutes celles que les entreprises peuvent prendre pour réduire l’écart de rémunération entre les sexes. Par ailleurs, la transparence salariale permet aux employeurs de montrer qu’ils sont mobilisés en faveur de l’égalité femmes-hommes et de l’inclusion au travail. Dans la région Asie-Pacifique, certaines sociétés multinationales (dans le secteur de l’habillement, notamment) encouragent des pratiques en matière d’égalité et de non-discrimination entre les sexes, notamment des mesures d’équité salariale (comme la collecte de données salariales, la promotion des systèmes de gestion de la rémunération, l’élimination du processus d’embauche de la question des antécédents en matière de rémunération). Cette action positive peut se répercuter parmi les autres entreprises de la chaîne d’approvisionnement. Plusieurs facteurs sont essentiels à la réussite des mesures de transparence salariale : les consultations entre les employeurs et les travailleurs; le caractère obligatoire de ces mesures; la fixation des modalités de leur application en fonction de la taille de l’entreprise; et le renforcement des capacités des employeurs requis, par exemple pour produire les rapports sur la rémunération. L’exposé de Mme Simpson est disponible ici [en anglais].

Mme Kumie Inoue, directrice générale du Département des politiques en charge de la Division de l’équité entre les sexes et de la promotion de la diversité, Confédération japonaise des syndicats (JTUC RENGO), a présenté le point de vue d’un syndicat japonais sur la question. Elle a évoqué les disparités importantes existant entre hommes et femmes au Japon selon que leur emploi est régulier ou non, pour décrire ensuite les principaux obstacles à la réussite des femmes sur le marché du travail. Ces obstacles sont divers : difficulté à trouver de l’emploi (environ un tiers des entreprises japonaises n’embauchent pas de femmes); difficulté d’accès à la formation (la plupart des gens qui suivent une formation sont des hommes); difficulté à conserver un emploi (la principale raison invoquée pour quitter un emploi est l’incapacité à concilier travail et garde d’enfants); difficulté à obtenir de l’avancement (seulement 10 % des femmes peuvent espérer atteindre le poste de chef de section ou un poste supérieur, là encore principalement à cause de préjugés inconscients et de l’incapacité à concilier vie professionnelle et vie familiale). La JTUC RENGO a insisté sur la nécessité de recenser et d’éliminer les facteurs qui sont à l’origine de disparités salariales. L’exposé de Mme Inoue et disponible ici [en anglais].

Mme Selim Choi, Ph D, Division de la recherche sur les politiques de l’emploi, Institut coréen du travail, a évoqué les pratiques des entreprises coréennes. En Corée, l’échelle de rémunération est transparente, détaillée et non discriminatoire. Pourtant, les travailleuses sont souvent moins bien rémunérées en entreprise pour diverses raisons : plus courte durée des fonctions; postes subalternes; moins d’heures de travail; emplois dépourvus de caractéristiques habituellement récompensées par un revenu supplémentaire. Le marché du travail coréen est très segmenté, et les femmes doivent surmonter des obstacles dès le début de leur carrière. En outre, les chances sont grandes que les femmes « terminent » (et non interrompent) leur carrière dans la trentaine. Le gouvernement agit sur plusieurs fronts pour promouvoir l’égalité hommes-femmes, notamment en rendant illégale la discrimination directe ou indirecte, en menant des actions positives et en accordant de généreux congés parentaux. D’un autre côté, les actions volontaires menées en entreprise en vue de la réduction de l’écart de rémunération entre les sexes sont encore rares. Diverses entreprises accordent des prestations parentales pour favoriser l’équilibre entre vie professionnelle et vie familiale, mais les efforts déployés pour recruter des femmes et les affecter à des postes de direction sont encore limités. Les actions prioritaires à prendre en Corée en vue de réduire l’écart de rémunération entre les hommes et les femmes consistent notamment à favoriser le maintien en poste des mères de famille, et à améliorer les perspectives d’emploi pour les femmes. L’exposé de Mme Choi et disponible ici [en anglais].

Mme Rae Cooper, professeure, École de commerce de l’Université de Sydney, a présenté ses réflexions concernant les pratiques des entreprises en Australie. D’importants remaniements sont à l’ordre du jour dans son pays, en prévision de la réforme des politiques nécessaire pour accroître le soutien apporté en matière de garde d’enfants et de congé parental. Plus précisément, sur le chapitre de la parité salariale, diverses entreprises donnent l’exemple dans le secteur privé, ainsi que l’État de Victoria dans la sphère publique. Dans les entreprises pionnières, l’égalité de rémunération et la transparence salariale font partie intégrante d’actions menées à plus grande échelle pour l’égalité hommes-femmes. Cela signifie que la communication des salaires est plus qu’une simple présentation officielle : c’est plutôt un exercice incorporé à leur écosystème et utilisé pour analyser les causes profondes de l’écart de rémunération entre les sexes à différents niveaux (segmentation et ségrégation de genre). Les conditions préalables requises pour garantir l’efficacité des pratiques relatives à la transparence salariale et à l’égalité de rémunération sont diverses : une approche écosystémique qui se traduit par l’égalité de rémunération; une direction qui comprend la nécessité de l’égalité et de l’équité; des conditions de travail souples accessibles à tout le monde au sein de l’organisation; des données fiables utilisées à bon escient; et une culture de l’égalité hommes-femmes.

Lors de la séance de questions-réponses, les intervenants ont mis en évidence plusieurs facteurs favorisant la transparence salariale, notamment : la nécessité d’agir concernant les responsabilités familiales non rémunérées et de remédier au fait que la maternité peut pénaliser les femmes; éradiquer toute forme de violence et de harcèlement; tenir compte des questions de genre sur le chapitre de l’emploi précaire; et accompagner une évolution importante des normes sociales, des comportements et des préjugés liés au genre.